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dimanche 27 décembre 2009

La fraternité religieuse à la limite de la haine patriotique (1re partie )

L’amitié et la fraternité sont le fruit du bon caractère et l’éloignement ainsi que la division sont le fruit du mauvais caractère car le bon caractère implique la concorde et le mauvais caractère favorise la rancune, la jalousie et l’hostilité.

Le référendum suisse, interdisant la construction de minarets, est un verdict des urnes radicales dans un pays d’ordinaire tempéré ,car l’impact de ce référendum interpelle directement les millions de musulmans sur le sol européen car les Suisses n’ont pas voté sur les minarets mais sur l’Islam. Au-delà des frontières de ce petit pays européen avec ses 400 000 musulmans, soit un peu plus de 5% de sa population, ce vote est devenu un vrai thermomètre de l’opinion européenne où sont citoyens des millions de musulmans, bien que le minaret ne soit qu’un élément architectural qui est loin d’être une obligation religieuse puisque ces tours répondent davantage à une inscription symbolique de l’édifice cultuel dans le paysage urbain qu’à une prescription religieuse. Autrement dit, il n’a pas été préconisé par le prophète Mohamed « QSSSL », car sa première apparition remonte à la fin du premier siècle de l’Hégire (VIIIe siècle après J.C.) afin de symboliser l’élévation de l’homme vers Dieu. Bien que le minaret ne soit pas une provocation mais juste un élément urbanistique qui n’incite pas à la violence et qu’il est un passage obligé qui atteste que ce qui était étranger est désormais endogène et transforme le paysage architectural historique, culturel du vieux continent.

Les musulmans européens estiment que si les minarets dérangent les gens en Europe, ils peuvent très bien s’en passer, du moment que la religion musulmane est respectée et que les Européens ne font pas preuve de haine à l’encontre de l’Islam, sous prétexte d’identité patriotique et nationale, car ce qui fait mal aujourd’hui après ce « vote de la honte », comme il a été nommé au lendemain de la votation par le journal français Libération, ce sont bien les a priori autour de la religion musulmane et cela même chez certaines classes politiques européennes, car en Europe, quant on désigne l’Islam, on ne parle que de sectes, d’extrémisme et d’intégrisme, au point que les gens finissent par faire l’amalgame en stigmatisant l’Islam dans son ensemble et à le diaboliser puisque aujourd’hui, pour beaucoup d’Européens, on ne parle de musulmans que pour évoquer les radicaux et le terrorisme. Cela ne fait qu’alimenter la peur des gens, alors que l’Islam est une religion de tolérance, sinon comment expliquer qu’il y ait encore des églises en Algérie, qui font même partie du patrimoine national, ainsi que des synagogues en Tunisie, et pourtant ces pays sont musulmane et que les Chrétiens et les Juifs sont vraiment minoritaires, sans que leurs lieux de culte soient interdits malgré qu’ils n’appartiennent pas au paysage de ces pays.

Si l’argument urbanistique masque le véritable enjeu de nature culturelle ou religieuse dans l’affaire des minarets en Suisse et que les Européens ne rencontrent pas les mêmes réserves à l’encontre d’une tour de centre commercial ou d’un multiplexe de cinéma, c’est parce que comme disait Benjamin Franklin : « Ils nous appellent sauvages parce que nos manières diffèrent des leurs. » Contrairement à toutes les prévisions des spécialistes, les Suisses se sont prononcés par un référendum à plus de 57% en faveur de l’interdiction de la construction de minarets pour les mosquées, au point que désormais la Constitution helvétique, dans son article 72, contient un nouveau paragraphe stipulant que « La construction de minarets est interdite » et cela parce que ce résultat qui dément tous les sondages des instituts avec une marge d’erreur considérable a été réalisé, alors qu’on estimait avant la votation que jamais la barre des 40% de oui ne serait atteinte. Ce résultat de 57% de oui, traverse toutes les catégories politiques de la Suisse et représente un courant d’opinion qui craint, avec l’Islam, un retour du religieux intolérant car influencé par les peurs qu’alimentent quotidiennement les médias qui utilisent souvent le terrorisme et le fondamentalisme comme preuve pour expliquer le seul critère des motivations et des pratiques de la religion musulmane. L’Islam suscite une véritable inquiétude en Europe puisque durant les trente dernières années, c’est la seule religion qui rencontre toujours ce problème de construction de lieux de culte, alors qu’aucun autre lieu de culte, comme celui des Sikhs ou pentecôtistes et même juifs, ne provoquent ces oppositions. Les arguments opposés aux constructions des mosquées sont rarement précis, ils sont plutôt généraux, c’est-à-dire idéologiques. Au cours des deux dernières décennies, le monde occidental assisté à un renouveau de la pensée musulmane basée sur la science et l’explication du Coran par les nouvelles découvertes.

Ce style de prédiction s’est avéré plus efficace et a conduit de nombreux intellectuels occidentaux à reconnaître l’authenticité du Coran comme parole divine et à en déduire une preuve irréfutable de l’existence de Dieu. Durant l’histoire, l’Islam s’est illustré par des exemples de tolérance et de liberté de conscience comme à l’aube de l’Islam, cette histoire du Juif, voisin du messager Mohamed « QSSSL », qui se plaisait à jeter sa décharge devant la porte du Prophète et celui-ci ne disait jamais rien. Il la ramassait et la jeta au loin, jusqu’au jour où le Prophète remarqua que son voisin arrêtait de jeter sa décharge devant sa porte. Il s’en inquiéta et demanda des nouvelles de son voisin juif. Lorsque Mohamed « QSSSL » apprit que son voisin était malade, il lui rendit visite, ce qui a fait intriguer le Juif, au point de demander au Prophète pourquoi il s’était dérangé pour venir le voir malgré qu’il s’était mal comporté avec lui ? Le messager de Dieu lui répondit que « l’Islam me fait obligation de te rendre visite, c’est ton droit de voisin ». Comme le Prophète Mohamed « QSSSL » disait que « ce sont les plus modestes qui savent aimer et se faire aimer », le 26 mars 1979, l’Egypte de Sadate est devenue le premier pays musulman à accepter une paix durable avec son voisin, l’Etat hébreu, et cela après plusieurs guerres de libération durant la période de l’Egypte de Nasser afin de rendre son indépendance à la Palestine, de la domination sioniste. Maintenant que trente années sont déjà écoulées depuis que ce traité de paix entre l’Egypte et Israël fut signé et que le drapeau d’Israël flotte au Caire et celui de l’Egypte à Tel-Aviv, au point que l’ambassade d’Israël au Caire fonctionne comme n’importe quelle autre délégation diplomatique et malgré l’offensive militaire sans précédent sur la bande de Gaza en décembre 2007, où des centaines de morts étaient comptabilisés parmi les civils palestiniens afin d’éliminer le Hamas des territoires occupés malgré qu’il a été élu démocratiquement.

L’ambassade d’Israël en Mauritanie a été fermée suite à cette offensive contre le peuple palestinien par l’Etat sioniste d’Israël. Pour les Egyptiens de ce début du XXIe siècle, les Juifs sont devenus très proches d’eux car ce sont des gens du livre, alors que les frères palestiniens ne peuvent continuer à recevoir le soutien de l’Egypte puisqu’ils se battent entre eux et ne soutiennent pas leurs propres frères. Même s’ils se disent du côté des Palestiniens, les Egyptiens estiment qu’il n’y a que Dieu qui pourra protéger ce peuple d’Israël car le président Moubarak a 70 millions d’Egyptiens pendus à son cou, et comme le peuple égyptien a faim, il faut qu’il leur donne à manger, c’est pourquoi la normalisation avec le peuple israélien se fait depuis trente ans petit à petit, à différents niveaux, auprès des masses populaires aussi bien que des intellectuels égyptiens. Il n’y a pas si longtemps, les syndicats excluaient encore leurs membres qui avaient eu des relations avec Israël, alors qu’aujourd’hui, ils ne le font plus, car même si Israël viole les droits des frères palestiniens et le droit international, en imposant un siège inhumain et immoral à la bande de Gaza, cette paix unilatérale de la part des Egyptiens rapporte au pays, sur le dos de milliers de morts palestiniens et de souffrances quotidiennes d’un peuple sous embargo, chaque année 10 milliards de dollars grâce à 7 millions de touristes, ainsi que 10 autres milliards grâce au canal de Suez, sans compter les aides des Etats-Unis et des transferts d’argent des Egyptiens émigrés en Occident.

Les Egyptiens, après avoir été surpris par l’initiative de leur président Sadate de signer des accords de paix avec leur ennemi juré, Israël, au point de le tuer devant les caméras de télévision, ils se rendent compte grâce aux bonnes relations du président Moubarak avec Israël, que Sadate était bien en avance sur son temps et qu’aujourd’hui, ils l’on bien compris car le choix de la paix avec Israël, sans l’indépendance de la Palestine, était essentiel pour l’Egypte, et cela, même si la paix actuelle est dans l’intérêt de l’Etat hébreu puisqu’ils disent aux frères palestiniens, que la guerre n’est pas le seul moyen de résister à la colonisation parce que le recours aux armes permet simplement d’entretenir leurs illusions et de masquer leur impuissance, mais il existe le droit international et les alliances pour acquérir ses droits à l’indépendance. En Egypte, les autorités estiment soutenir la lutte des Palestiniens pour leur lutte légitime afin d’acquérir la liberté et l’indépendance et aider les autorités palestiniennes à résoudre leurs problèmes intérieurs et qu’ils puissent parler à nouveau d’une seule voix. Grâce au travail quotidien des diplomates israéliens avec ces mêmes autorités politiques, Israël a réussi à relancer avec l’Egypte le travail des commissions militaires mixtes et signer de nombreux accords, dont le plus important prévoit l’établissement d’usines égyptiennes avec la participation israélienne d’au moins 10,5%, pour des produits destinés à être exportés vers les Etats-Unis aux mêmes conditions que les produits israéliens, à savoir sans frais de douanes car entre l’Egypte et Israël, la paix n’est pas seulement une paix froide sans ancrage dans la population mais une relation entre les deux pays en voie d’amélioration constante grâce à un travail exceptionnel d’une chancellerie israélienne, en Egypte, qui consacre une grande partie de son travail à donner tort aux Egyptiens refusant la normalisation entre les deux pays.

Avec la politique de l’Egypte de Moubarak, les Egyptiens voient de jour en jour le malheur de leurs frères palestiniens s’agrandir sans aucun changement dans la perspective d’une paix durable et sans vraiment avoir l’espoir d’une lueur d’indépendance pour les frères palestiniens, afin que les pays Arabes et musulmans puissent enfin acquérir une bonne initiative de relations paisibles avec l’Etat hébreu, tant espérée par les accords d’Oslo. Avec la présence permanente d’un travail de terrain de la part de la chancellerie israélienne sur le territoire égyptien, une majorité du peuple égyptien est devenue comme contaminée par la haine patriotique de la population israélienne et du matérialisme capitaliste, au point que durant ces dernières années aucune réaction ne s’est fait observer, au nom de la fraternité religieuse, pour faire pousser leur gouvernants à faire boycotter cette paix sans résultat depuis trente ans et afin de pousser l’Etat hébreu à permettre au peuple palestinien de pouvoir enfin espérer à un souffle de paix durable. Parce que le peuple égyptien qui a su donner au Prophète Mohamed « QSSSL » une de ses femmes avant même de se convertir à l’Islam, après avoir réservé un accueil de bienvenue à « Amar Ibn Asse », et que depuis longtemps il est considéré comme le berceau de la religion musulmane par son savoir théologique et sa tolérance envers les monothéistes chrétiens et juifs.

Comme il a accepté une paix unilatérale avec les sionistes de l’Etat hébreu et sans contrepartie pour la fraternité religieuse et patriotique, il n’a pas su conserver ses propres principes pour l’intérêt de ses propres frères, puisque comme pour venir démontrer au monde la réalité de la décadence des relations fraternelles au sein du monde musulman de ce début du XXIe siècle, les Egyptiens, Etat et peuple, se sont acharnés dans une campagne de dénigrement sur l’Algérie, un pays frère et musulman, pour cause d’un simple match de football, comptant pour la qualification à la Coupe du monde 2010, au point que cette campagne n’a épargné ni le peuple algérien ni ses symboles et même ses valeureux martyrs pour une indépendance chèrement obtenue après 132 ans de colonisation, sans parler du caillassage du bus de l’équipe nationale avant même que ne débute le match et des humiliations infligées à leur hôtes venus supporter leur équipe nationale, pour un match considéré avant tout amical entre deux peuples frères. Si, comme la majorité des pays musulmans d’aujourd’hui, l’Egypte s’est rabaissée à ses plus bas niveaux et s’est laissée apparaître très petite, après avoir été la mère du monde arabe, grâce à sa fermeté contre le sionisme israélien et sa détermination à faire valoir le droit des Palestiniens et le droit des musulmans, ce n’est que parce que souvent les musulmans contemporains, ne donnent plus de valeur aux paroles de leur Prophète Mohamed « QSSSL », qui disait, selon Aboû Hourayra : « Méfiez-vous des préjugés car rien n’est plus trompeur. Ne vous espionnez pas, ne rivalisez pas entre vous, ne vous enviez pas, ne vous détestez pas, ne vous ignorez pas, soyez des serviteurs de Dieu fraternels, ainsi que Dieu vous l’a ordonné. »

Puisque le croyant est le frère du croyant, il ne l’opprime pas, il ne le prive pas de son soutien, il ne le méprise pas car il n’est de pire mal pour un croyant en Dieu que de mépriser son frère parce que chez le croyant, tout est sacré pour l’ensemble des croyants en Dieu comme son sang, son honneur et ses biens. Voilà pourquoi Dieu ne regarde ni nos corps ni nos apparences, mais il regarde nos cœurs, comme disait le Prophète Mohamed « QSSSL » : « Vous n’entrerez pas au paradis à moins d’avoir la foi. Et vous n’aurez pas la foi complète à moins de vous aimer les uns les autres. Répandez la salutation de paix entre vous. » La fraternité prend origine dans l’affiliation des hommes à Adam et Eve et est consacrée par la foi en Dieu l’Unique et Ses Prophètes et par la pratique des actes d’observance et d’abstinence qui en découlent. Alors que toutes les différences pouvant exister entre les croyants sont abolies par le lien indissoluble de la fraternité religieuse, parce que le meilleur, le plus noble, le plus méritant sera celui qui aura plus de crainte révérencielle vis-à-vis du Créateur. Donc plus de respect, plus de vénération, plus d’égard pour ses frères et sœurs, les croyants et les croyantes, quelles que puissent être leurs races, leurs langues et la terre qu’ils habitent car la fraternité en Dieu se rit des fictives frontières établies par les hommes et de toutes les différences apparentes qui existent entre les fils d’Adam. « ô hommes ! » clame le Coran au Verset 13 de la Sourate 69, « Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et Nous vous avons constitués en peuples et en tribus, pour que vous vous connaissiez . En vérité, le plus noble d’entre vous auprès de Dieu est celui de vous qui est le plus pieux . »

(A suivre)

-  L’auteur est : Ancien élève de l’Ecole des sciences philologiques de la Sorbonne



Par Meziane Abdellah

dimanche 15 novembre 2009

Pour un dialogue des cultures

Dans l’univers de l’après-guerre froide, après la chute du Mur de Berlin, de larges pans de l’opinion occidentale, comme de ses intelligentsias, ainsi que certains de ses gouvernements trouvent opportunément dans le « péril vert » islamique un ennemi de substitution au « péril rouge » du communisme, suite à la désintégration de l’Union soviétique, car, certains en Occident ne conçoivent pas un monde de désarmement et de dialogue.

En quelques années, l’Islam est devenu la bête noire de l’Occident. Le phénomène de l’extrémisme religieux, qui est apparu dans certains pays islamiques, a eu pour conséquence de faire accréditer les violences comme étant des pratiques islamiques alors que l’Islam en est totalement innocent. C’est pourquoi, on ne saurait insister assez sur la nécessité de convier le monde islamique, eu égard à son importance quantitative et qualitative, à contribuer à l’édification de l’ordre nouveau et à le consolider afin de lui assurer crédibilité et durée. Il faut souligner que cette méfiance à l’égard de l’Islam n’est certes pas nouvelle. Les musulmans sont confrontés depuis longtemps en Occident, de la façon la plus directe et la plus brutale, à l’image dépréciée, négative, hostile que leur renvoient de très larges secteurs de l’opinion, des médias et de l’establishment politique, intellectuel ou religieux de ces sociétés. Cette hostilité hésite de moins en moins à s’exprimer de la façon la plus violente et où « incontestablement », le 11 septembre 2001 a libéré la parole sur l’Islam (et où) on dit désormais ce qu’on n’osait même pas penser il y a quelques années » (Alain Gresh 2004, page 29).

Enfin, lorsque des stratégies militaires, maintenant que l’URSS a disparu, s’interrogent sur le risque que constituerait un Islam doté d’engins nucléaires pour la sécurité de l’Europe au XXIe siècle, presque tout le monde s’accorde à dire que l’accès de l’Iran au nucléaire militaire n’est pas acceptable. Mais en quoi le nucléaire iranien est-il menaçant ? Il y a en fait deux réponses qui n’induisent pas la même politique. La première consiste à dire que le problème, c’est le régime : une République islamique serait tentée de se servir de la bombe contre Israël ou bien d’utiliser la sanctuarisation induite par la possession de l’arme pour protéger des groupes terroristes sur son territoire. La seconde considère que la dissuasion fonctionnera quel que soit le régime et que le problème est plutôt l’effet de la prolifération qu’entraînera l’achèvement du programme nucléaire iranien, car l’Egypte, l’Arabie Saoudite et la Turquie seront amenées à se nucléariser. L’Iran a été signataire (contrairement à l’Inde, au Pakistan et à Israël) : son retrait signifiera la mort du traité. Le régime en ce cas importe peu.

Or, selon l’hypothèse retenue, la stratégie à suivre est très différente : dans le premier cas, il faut pousser à un changement de régime, dans le second, c’est l’Iran en tant que puissance régionale nucléaire qui pose problème. De là, un choix s’impose : faut-il viser d’abord le régime ou bien le programme ? Durant la guerre froide (1947-1991) l’« ennemi total » était une idéologie : le communisme, qui avait pris corps dans un Etat concret, l’URSS. L’adversaire était circonscrit, cerné, enfermé derrière le rideau de fer ou le Mur de Berlin qui rendaient son accès à l’Occident presque impossible. Certes, ce régime soviétique a créé également les camps de concentration du Goulag, aboli les libertés collectives telles qu’elles sont reconnues dans le monde libre est adopté la bureaucratie administrative…

En dépit d’un demi-siècle environ de guerre froide entre les deux superpuissances et ce qu’elle a entraîné de différends idéologiques parmi les peuples du tiers-monde, allant parfois jusqu’aux conflits armés, cette expérience d’un certain équilibre entre les deux super grands demeurera néanmoins parmi les plus importantes phases de l’histoire de l’humanité grâce à des critères mondialement reconnus. Durant cette phase, l’Est et l’Ouest s’imposaient le respect mutuel grâce à une sorte de parité en moyens destructifs de dissuasion pour la maîtrise et le développement desquels ils poursuivaient une course sans merci. Parallèlement, les pays du tiers-monde tiraient avantage de l’affrontement des deux blocs en balançant tantôt vers l’un ou l’autre, tantôt vers le non-alignement.

L’entrée de l’économie mondiale dans une phase de dépression, la régression de l’influence des organisations politiques à caractère régional et le recul de la solidarité Nord-Sud n’ont pas entamé la pertinence des critères qui ont gouverné le monde durant la guerre froide et qui sont restés les mêmes, à savoir le recours obligé à l’aune de l’équilibre des forces en présence entre l’Est et l’Ouest pour l’évaluation de tout événement en perspective. La situation dans laquelle se trouvait le monde islamique durant les trois dernières décennies se caractérise donc par une nouvelle conscience anti-islamique qui s’est indiscutablement forgée.

Par ailleurs, le soutien massif des médias occidentaux à Israël a fait apparaître les causes politiques arabes, même les plus légitimes (en particulier la lutte des Palestiniens) comme dévoyées par le terrorisme. Enfin, l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 et la découverte du programme nucléaire de Baghdad ont renforcé l’image de l’Arabe qui trahit l’Occident. Dans de nombreux documents officiels occidentaux, les problèmes se mêlent sans méthode pour montrer une région méditerranéenne en croissante instabilité. L’absence de démocratie dans certains Etats de la rive sud est parfois désignée comme l’une des causes de cette instabilité, mais il n’est jamais fait mention de politiques économiques excluantes du Nord, du système de Bretton-Woods ou de la suprématie militaire occidentale.

Voici par exemple, comment une résolution du Parlement européen explique l’aggravation de l’instabilité en Méditerranée : « L’expansion du fondamentalisme islamique, la nature endémique du conflit arabo-palestinien, l’affrontement entre les différentes nationalités et groupes, l’effet cumulé des problèmes écologiques, la dépendance économique, la dette, l’existence persistante des régimes politiques opposés au développement de la démocratie et des droits de l’homme, le chômage, l’explosion démographique et les migrations ont aggravé grandement la déstabilisation du sud et du sud-est de la Méditerranée. » Toutes ces spéculations désordonnées pour expliquer le « grand chaos du Sud » et mettre l’Occident hors de cause ont soudain trouvé une sorte de corps de doctrine lorsque, au cours de l’été 1993, le prestigieux professeur américain Samuel Huntington a publié un retentissant article. « Mon hypothèse, écrit-il, c’est que la source fondamentale du conflit dans le monde à venir ne sera pas principalement idéologique ou économique.

La grande division de l’humanité aura pour source dominante la culture. L’Etat-nation demeurera l’acteur le plus puissant des affaires mondiales, mais les conflits principaux de la politique globale auront bien entre nations et groupes de différentes civilisations. » Le Pr Huntington prétend qu’une civilisation est « le plus grand rassemblement de personnes d’une même culture ». Et il en définit huit : occidentale, confucéenne, japonaise, islamique, hindoue, slavo-orthodoxe, latino-américaine et « probablement » africaine. Il publia en 1996, un livre ayant pour titre Le choc des civilisations. Dans l’après-guerre froide, expliquait Hungtington, une guerre des cultures est en train de prendre la place des conflits interétatiques classiques.

La civilisation occidentale sera, pour sa part, prise en otage, gravement menacée par des civilisations hostiles. Les intégrismes religieux et les différences culturelles découperont le monde en plusieurs aires culturelles, en conflits entre elles. Les thèses de Hungtington ont été en général fort durablement contestées en raison de leurs simplifications et de l’appel de l’auteur à un sursaut politique et militaire de l’occident pour résister en particulier à l’islam et au confucianisme. Selon l’éminent professeur, une alliance islamico-confucéenne est en train de se constituer à travers les réseaux de commerce des armes entre des pays comme l’Iran et la Corée du Nord. Dans la recherche de paradigmes pour expliquer les relations internationales en cette après-guerre-froide, Francis Fukuyama et sa désormais célèbre « fin de l’histoire » avait précédé Hungtington dans le Star System intellectuel américain. L’islam en particulier pose un problème à l’Occident, ce n’est pas nouveau. Le contentieux est ancien.

Comme l’explique Joseph Maïla : « Il tient, au départ, dans cette proximité-rivalité entre Europe et Islam, qui fut guerrière comme à l’époque des croisades, de grande richesse intellectuelle et d’échanges, comme en Andalousie à l’époque de l’Espagne musulmane, mais qui a été entièrement dominée par la pénétration occidentale à partir du XIXe et surtout au XXe siècle après la chute de l’Empire ottoman. Depuis lors, la culture musulmane n’en finit pas de jeter ce regard mitigé, où se mêlent une attraction forte pour la société d’idées, de progrès et de consommation qu’est devenu l’occident et une méfiance grandissante à l’égard d’une civilisation suspectée de domination. La toute-puissance des Etats-Unis, leur manière de traiter la question palestinienne, les séquelles de la guerre d’Afghanistan et celle d’Irak rappellent que, dans le nouvel état des relations internationales, les pays musulmans font l’objet d’une attention suspecte et qu’ils sont perçus comme une source principale de menaces. »

Quel impact provoquent toutes ces théories et spéculations paranoïaques qui, au lieu d’en appeler au dialogue, à la coopération, à la réforme du système international et à l’exploration du consensus entre Etats, cultures et peuples proposent de se préparer à la confrontation ? En ces années 1990, une course aux armements a commencé, après qu’on eut annoncé solennellement la fin de la guerre froide et promis, non moins solennellement, les dividendes de la paix. La course effrénée, pour plus d’accumulation, a asservi l’homme à la matière au lieu de mettre la matière au service de l’homme. L’excessif attachement au positivisme laïque a dépouillé l’homme occidental de sa dimension spirituelle et, partant, de son espérance. La civilisation matérialiste qui gouverne l’ordre actuel tend à devenir gravement hédoniste, elle a favorisé la satisfaction des désirs, des pulsions et des instincts.

Plutôt que de se laisser entraîner dans une escalade de la terreur nucléaire, que tous les lobbies des industries d’armement réclament à grands cris, l’Europe ne devrait-elle pas refuser la vision xénophobe et simplificatrice du « choc des civilisations » et proposer comme modèle politique le « dialogue des cultures ».

16, rue de la Fare 13001, Marseille

Références bibliographiques :

- Le Croissant et le Chaos d’Olivier Roy
- Entre violence et paix de Jean-Yves Calvez
- L’Islam en débat d’Alain Roussillon



Par M. Mourad Zouaoui

jeudi 5 novembre 2009

Études pharmaceutiques : Le modèle algérien (2e partie et fin)

Le débat, en fait, tourne autour de la finalité de l’enseignement pharmaceutique. Il faudrait donc répondre à la question suivante : 

- les facultés de pharmacie doivent-elles continuer à assurer un enseignement théorique pluridisciplinaire et corriger les insuffisances dont j’ai cité quelques exemples, ou bien modifier leur vocation dans le sens de la formation de pharmaciens ayant déjà acquis une spécialisation durant le cursus normal des études ?

La première solution exigera, pour être réalisée, deux conditions : l’allongement de la durée des études d’au moins une année ; la création d’enseignements spécialisés de 3e cycle. La direction des travaux de thèses nécessitent un spécialiste de la matière et non pas un profane en la matière, comme le disait le professeur Ali Gherib le jongleur de la chimie-clinique : « L’interniste qui juge un travail de chimie confirme qu’il est nul en médecine interne ». Dans une équation où le chimiste dépend de l’interniste pour présenter son travail d’une science exacte. Ce qui suppose que le pharmacien spécialiste aura à faire des études durant une dizaine d’années après le baccalauréat. La deuxième solution entraînera obligatoirement l’abandon de la notion d’unicité de diplôme, mais aura l’avantage de permettre une formation permettant au futur diplômé d’être en mesure d’exercer convenablement une responsabilité dans un domaine pour lequel il a été bien formé. Cette formation rejoindra, en fait, celle des ingénieurs pour lesquels il existe actuellement une multitude de qualificatifs selon le cursus de cette formation (ingénieur chimiste, ingénieur agronome, ingénieur en informatique, ingénieur en béton, bio-ingénieur...).

Dans cette hypothèse, on s’habituera à une nouvelle terminologie pour désigner les membres de notre corporation et on parlera de pharmacien d’officine, pharmacien d’industrie, pharmacien analyste, pharmacien clinicien... Cette deuxième solution suppose un plan national de formation des pharmaciens et une orientation des étudiants dans les différentes filières de formation en fonction des besoins du pays, et une souplesse dans la conception des programmes, en vue de créer autant de filières spécialisées que l’exige le développement de nos activités professionnelles. Ce type d’enseignement a déjà existé au niveau des facultés des sciences où après un 1er cycle commun d’études durant en général deux années, les étudiants suivent un enseignement de 2e cycle, organisé en plusieurs unités de valeur. Une unité de valeur représente environ 80 heures d’enseignement théorique incluant une forte proportion d’enseignement dirigé. Elle est validée par un contrôle de connaissances. Un étudiant moyen est capable d’acquérir facilement deux unités de valeur au cours de la même année d’enseignement.

Il est évident que pour chaque type de diplôme, il est nécessaire d’obtenir obligatoirement certaines unités de valeur, avec possibilité d’avoir des options, au choix de l’étudiant. Ainsi, pour un futur pharmacien d’officine, en plus des unités de valeur de pharmacie et de pharmacodynamie, on peut choisir une unité de valeur de gestion, d’économie de santé ou de droit pharmaceutique. Ces mêmes unités de valeur seraient nécessaires pour un futur pharmacien d’industrie. Ce type d’enseignement a ainsi l’avantage de permettre des passerelles et un étudiant ayant au départ choisi une filière et qui voudrait changer d’orientation n’a qu’à s’inscrire dans les unités de valeur qui lui sont nécessaires pour obtenir son diplôme dans la nouvelle orientation. D’aucuns font remonter l’origine de l’éducation sanitaire à la plus haute antiquité et considèrent que grand nombre de tabous et de règles imposés par les pratiques religieuses trouvent leur origine dans une attitude préventive en matière de santé : (les ablutions avant la prière, les périodes de jeûne, l’interdiction de certaines boissons alcoolisées, voire l’usage du tabac (condamné au XVIe siècle par l’Eglise catholique) l’interdit jeté sur les unions consanguines apparaissent comme des mesures préventives qui s’insèrent dans une initiation socioculturelle propre aux milieux où elles sont préconisées. Notre propos n’étant pas de faire l’historique de l’éducation sanitaire, nous n’avons voulu évoquer ces situations que pour indiquer qu’il s’agit d’une vieille préoccupation de l’humanité. L’éducation sanitaire consiste à faire prendre conscience à chaque personne par une information adaptée de ce qui directement peut mettre sa vie ou sa santé en danger ou en péril à brève échéance ou à long terme. Cela suppose la mise en œuvre de tout moyen capable :
- de créer des motivations positives vis-à-vis de la santé.
- de faire prendre conscience aux individus qu’ils sont responsables de leur propre santé et de celles des autres.
- de faciliter une adaptation de leur comportement dans ce but. C’est un domaine immense qui couvre un ensemble de réactions physiologiques, psychologiques et sociologiques. Ceci suppose une préparation minutieuse par des personnes compétentes et relevant de disciplines complémentaires ; à cet effet, tout paraît prédisposer les pharmaciens à jouer un rôle important. C’est ainsi que le pharmacien a trois moyens pour faire de la « publicité » sanitaire à l’intérieur de son officine.
- Tout d’abord par l’image (affiches, graphiques).
- Puis par les conseils qu’il est appelé à donner chaque jour.
- Et enfin par l’exemple (ordre, propreté des locaux, discipline, vaccinations). Tout ceci suppose la présence permanente et active du pharmacien dans son officine, car l’éducation sanitaire en raison du tact qu’elle exige et des connaissances qu’elle impose ne peut se contenter d’intermédiaire (à la culture élémentaire).

Et dans le domaine de la vaccination

Dans le domaine de la protection maternelle et infantile et dans celui de la vaccination, le pharmacien peut être le meilleur conseiller. Par ailleurs, pour jouer efficacement un rôle social et concourir à la protection de la santé, il faut avoir des connaissances scientifiques, professionnelles, sociales et des qualités morales qui permettent d’agir avec tact, autorité et compétence sur un public cherchant à se protéger des maladies, de conserver sa santé. C’est le rôle et le devoir du pharmacien d’informer le client bien portant ou malade, de lui permettre par un conseil éclairé de conserver sa santé.Il est nécessaire de faire connaître le pharmacien sous son véritable aspect d’homme de sciences à un public mal informé qui a l’habitude de considérer parfois le pharmacien comme un commerçant ordinaire. L’évolution de la thérapeutique, grâce aux progrès prestigieux de la médecine et de la pharmacologie ne saurait, sans courir de graves dangers, se dispenser du service du pharmacien. Il est vrai que la pharmacie a perdu ces dernières années de son aspect traditionnel, conséquence de l’industrialisation du médicament, mais les responsabilités du pharmacien n’en sont pas diminuées pour autant, légalement et humainement.

Qu’en est-il en Algérie ?

Signalons qu’en Algérie l’éducation sanitaire est née avec l’indépendance, et une section d’éducation sanitaire a été créée au ministère de la Santé. Propositions :
- 1) au niveau des facultés de pharmacie, le renforcement de l’enseignement de l’hygiène et de l’éducation sanitaire ;
- 2) d’élaborer des programmes et des campagnes éducatives auxquelles participeraient les pharmaciens algériens ;
- 3) de collaborer avec les organismes de santé et d’action sociale et de s’associer à l’effort entrepris dans ce domaine par notre ministère de la Santé ;
- 4) de mettre au point et de réaliser des affiches éducatives destinées aux pharmaciens d’officine ;
- 5) d’éditer des fiches d’information et de mise à jour pour les pharmaciens, les faisant ainsi bénéficier d’un enseignement postuniversitaire sur les sujets préoccupants les pouvoirs publics.
- 6) d’éditer des brochures, des dépliants au public.

Conclusion

Pour conclure, je dirais qu’il ne peut exister une solution parfaite, c’est-à-dire une solution susceptible de recueillir l’accord de tout le monde : université, corps professionnels, administration. Il est nécessaire de fixer dès le départ la finalité de l’enseignement de la pharmacie dans notre pays, en rapport avec leur évolution, leurs besoins et leurs moyens. Il sera alors possible de discuter de toutes les solutions possibles, d’évaluer les avantages et les inconvénients de chacune d’entre elles pour en adopter une seule, sachant que dan un monde en évolution constante, cette solution sera plus ou moins vite dépassée et à son tour discutée et remise en cause pour être adaptée à cette évolution. Il ne faut pas nous cantonner dans un exercice de la profession où l’appel à la culture reçue devient de plus en plus épisodique. Il nous faut savoir employer cette science de l’analyse et du contrôle à laquelle nos études nous ont préparés. Les diplômes et les titres sont un capital important ; cependant, ils peuvent se dévaluer comme tout capital par « non-emploi, mauvais placement ou manque d’entretien ».

La santé est le bien le plus précieux que puisse posséder l’homme ; à l’époque actuelle, la santé ne peut être considérée comme un bien individuel, mais aussi une valeur sociale. Chaque individu est comptable de sa santé vis-à-vis de la société et la société est comptable de cette valeur vitale vis-à-vis de chaque homme. C’est pourquoi les professions de santé doivent coordonner leurs efforts, chacune dans le domaine de ses compétences, selon son implantation et l’importance de son influence dans la société afin de conserver la santé individuelle et collective. Comme disait le professeur, Ali Gherib, « L’homme malade est une charge pour la société, tandis que l’homme sain est un inestimable capital économique ». Par son concours permanent et direct à la médecine préventive, le pharmacien apporte une contribution importante à l’économie générale de la nation dont le potentiel dépend de la santé physique et mentale de chacun.

Y. D. : Service de thérapeutique, Faculté de médecine d’Oran



Par Yahia Dellaoui

mercredi 4 novembre 2009

Études pharmaceutiques : Le modèle algérien (1er partie)

Si la formation continue devient une nécessité absolue pour toute personne assumant une responsabilité au sein de la santé publique en particulier, la formation des cadres au niveau de l’université doit elle-même évoluer afin qu’elle s’adapte aux besoins de la société.

En ce qui concerne l’Algérie, je peux dire que les professions pharmaceutiques ont pleinement joué leur rôle au service de la santé et de l’économie. Elles ont suivi le rythme du développement rapide qu’a connu le pays depuis l’indépendance. Pour situer le problème de la formation du pharmacien dans ce contexte, permettez-moi de donner un aperçu de la situation de la pharmacie et des pharmaciens en Algérie. Actuellement, un nombre élevé de pharmaciens exercent en Algérie. Des textes législatifs font de notre profession l’une des plus réglementées en Algérie. Ainsi, chaque confrère exerce dans un cadre juridique bien défini. La formation des pharmaciens exerçant en Algérie a été assurée traditionnellement, et pour des raisons historiques, en France. Cependant, après l’indépendance, cette formation s’est quelque peu diversifiée. Des pharmaciens, quoiqu’en petit nombre, ont été formés dans les autres pays francophones, essentiellement en Belgique et plus rarement en Suisse. Il faudrait ajouter qu’un certain nombre de pharmaciens ont été formés en Algérie et quelques rares autres dans les pays du Moyen-Orient, notamment en Egypte, Syrie et Irak.

L’enseignement de la pharmacie en Algérie, et plus précisément à la Faculté mixte de médecine et de pharmacie d’Alger, a débuté avant l’indépendance. Cette Faculté a déjà sorti des promotions, parmi lesquelles le chef du gouvernement Ferhat Abbas et son confrère dans la profession et la politique Youcef Ben Khedda. L’enseignement prodigué est fortement inspiré des programmes des facultés françaises depuis fort longtemps jusqu’à nos jours. Les deux questions qui se posent à nous et qui sont à l’ordre du jour dans notre pays, sont les suivantes :
- la formation de nos pharmaciens répond-elle à nos besoins, tant sur les plans qualitatif et quantitatif ? — Dans quel sens, cette formation doit-elle évoluer pour permettre aux professions pharmaceutiques de jouer pleinement leur rôle au service de la société algérienne ?

Les problèmes

On peut dire, sans risque de nous tromper, que le pharmacien sortant de la faculté trouve des difficultés énormes pour assumer ses responsabilités, quel que soit le domaine d’activité qu’il a choisi pour faire sa carrière. Ce qui montre qu’actuellement les études en pharmacie n’ont pas pour finalité de donner aux étudiants un métier, mais plutôt une formation de base qui est supposée suffisante pour permettre au futur diplômé d’exercer son art dans les différents domaines où il est réputé apte à exercer. Cette situation est le résultat du fait que, formés à l’étranger, ou dans notre pays, selon un modèle étranger, nos jeunes confrères acquièrent une formation qui, le moins que l’on puisse dire, ne répond pas à nos besoins. J’irais même jusqu’à dire qu’elle ne répond plus aux besoins du pays que nous avons pris pour modèle, car ce pays est en train d’étudier la réforme de ses propres études en pharmacie. Historiquement, les pharmaciens de l’ancienne génération ont été formés en France selon un modèle qui a été depuis modifié voilà une cinquantaine d’années. Le cursus des études en pharmacie commençait par une année de stage obligatoire dans une officine, sous la responsabilité d’un maître de stage.

La dernière année des études devait permettre à la faculté de juger à travers les examens définitifs de l’aptitude de l’étudiant de 5e année à exercer sa profession de pharmacien et ce, en s’assurant de ses niveaux de connaissances, tant sur les plans théorique et pratique. Le développement extraordinaire des connaissances scientifiques et la nécessité d’inclure dans les programmes d’enseignement, d’une manière continue, les nouvelles acquisitions scientifiques et techniques, faisait obligation, comme c’est le cas de nos jours, aux autorités administratives et universitaires de mettre au point des réformes touchant aux études de pharmacie. Il est bien clair que la réforme qui a été adoptée en France a sacrifié le côté « formation professionnelle du pharmacien » au profit de sa formation scientifique, car elle avait pour objectif de préparer les futurs diplômés à une carrière de spécialistes qui, en fait, n’était l’apanage que d’un nombre relativement restreint de diplômés. La majorité de nos jeunes confrères, surtout dans notre pays, se destinait à exercer dans l’officine qui se trouve être la première priorité pouvant répondre aux besoins de nos populations. Il est, en effet, indéniable que dans les 20 premières années d’indépendance, c’est l’activité de pharmacien d’officine qui a absorbé l’écrasante majorité des pharmaciens.

Les difficultés

Je citerai quelques exemples pour illustrer les difficultés qui existent actuellement pour les jeunes confrères pour affronter leur métier.

Un diplôme unique

Dans le cas de l’officine :

le jeune diplômé n’est pas suffisamment formé pour affronter les difficultés d’installation, car il ignore tout des problèmes financiers et de gestion qu’il est obligé de résoudre pour pouvoir s’installer. Il se trouve complètement désorienté par des informations souvent contradictoires qu’il recueille auprès de différentes personnes (confrères aînés, banques, grossistes, administration...). De plus, ignorant en général les notions inhérentes à la gestion des stocks des médicaments, il se trouve contraint de chercher un collaborateur qualifié pour l’aider dans cette tâche, ce qui est de nature à lui créer des difficultés, du reste légitimes avec un confrère aîné, qui voit d’un mauvais œil qu’un jeune pharmacien vienne lui débaucher son personnel, en infraction aux règles de déontologie pharmaceutique. Le problème le plus grave résulte incontestablement du fait que les facultés délivrent un diplôme unique pour des étudiants qui n’ont pas suivi le même cursus des études. En effet, si on considère le cas d’un étudiant qui a choisi de suivre l’option biologie clinique, il suit en 5 années des cours et des stages qui l’éloignent complètement de ses camarades qui ont opté pour la filière « Officine ».

La réglementation en vigueur fait que les diplômés, quelle que soit leur « pré-spécialité » ont les mêmes droits, et en particulier celui d’exercer en officine. Or, pour celui qui a choisi la filière biologie clinique, sa formation le rend inapte à exercer en officine. Nous touchons là le problème de l’unicité du diplôme. Peut-on dire que trois pharmaciens, formés chacun dans l’une des trois filières – officine, biologie et industrie – ont une formation les habilitant à exercer à leur sortie de la faculté dans l’une des trois branches d’activité mentionnées ? Il est évident que la réponse est non. L’unicité du diplôme devra en réalité correspondre à une unicité de formation. Chose inexistante dans les nouveaux départements implantés récemment à l’intérieur du pays. Le deuxième exemple que je citerai est celui des jeunes confrères qui s’orientent vers la carrière de la pharmacie hospitalière que nous devons, pour beaucoup de raisons, développer pour la rendre de plus en plus attrayante pour les jeunes diplômés. Malheureusement, le pharmacien diplômé sortant de la faculté se trouve complètement désorienté lorsqu’il est affecté dans un poste hospitalier. Il se trouve à l’hôpital comme « un corps étranger ». Ce problème n’existe pas pour les jeunes prescripteurs qui ont été placés en stage en milieu hospitalier à partir de la fin de leur première année d’études.

Si on examine la situation des confrères étrangers qui ont suivi les mêmes études, on s’aperçoit qu’ils ont l’obligation, pour suivre la carrière hospitalière, de passer par l’internat, ce qui leur permet d’apprendre leur métier à l’hôpital. Par ailleurs, les facultés de pharmacie en France ont déjà corrigé cette insuffisance de la formation en instituant, depuis quelques années, un stage hospitalier obligatoire pour tous les étudiants en pharmacie. Enfin, pour ce qui est de l’ouverture de l’enseignement pharmaceutique sur l’industrie, il faut aussi constater que la réforme n’a pas donné les résultats escomptés et ce, pour deux raisons essentielles qui sont inhérentes à l’industrie. En effet, les sociétés qui fabriquent des médicaments répugnent, en général, à recevoir des stagiaires, ou si elles les reçoivent, les cantonnent dans des activités de recherche qui leur sont en général « inutiles » ; sauf s’ils ont la chance d’être recrutés par ces mêmes entreprises.

Par ailleurs, on peut constater, malheureusement, que pour les tâches de production et de contrôle, les industriels du médicament préfèrent recruter des ingénieurs qui sont mieux préparés que les pharmaciens pour les tâches de production, ou les scientifiques (docteurs es-sciences) qui sont plus spécialisés que ne le sont les pharmaciens dans l’utilisation pour le contrôle de médicaments de techniques et d’appareillages de plus en plus sophistiqués. Après cette étude critique sommaire de la situation, il s’agit pour nous d’étudier les voies et les moyens nous permettant de proposer une réforme des études en vue d’améliorer la formation des pharmaciens dans nos pays.

La réforme

Pour arriver à de bons résultats, il serait nécessaire de discuter et de répondre à un certain nombre de questions qui sont de nature à permettre à tous les pharmaciens d’accomplir au mieux leur mission, quel que soit le domaine d’activité qu’ils auraient choisi pour assurer leur carrière.

1- Comment arriver à réaliser une bonne formation du pharmacien d’officine dont le rôle essentiel est d’assurer le contrôle des prescriptions et la dispensation des médicaments ?

2- Comment concilier entre la dispensation d’une formation pluridisciplinaire théorique dans les domaines de la synthèse, de l’extraction des molécules actives, de la mise en forme pharmaceutique et un contrôle des effets des médicaments et de placer en même temps l’étudiant en position d’appliquer son savoir théorique et d’évaluer ses compétences face à un homme malade recevant des médicaments ?

3- Comment concilier cette formation théorique et intégrer l’étudiant en pharmacie dans une équipe hospitalière pour acquérir le savoir-faire et un certain comportement, voire une conduite à tenir vis-à-vis du malade ? Ne faudrait-il pas penser à une formation cohérente et suivie pour les pharmaciens des hôpitaux ?

4- Comment concilier la formation théorique et pratique du pharmacien pour être en mesure de revendiquer une place de choix dans notre jeune industrie pharmaceutique qui a besoin de se développer et de s’affirmer tant sur le plan maghrébin que sur le plan international ? Beaucoup d’autres questions touchent aux autres aspects des activités du pharmacien dans notre société en évolution constante. Je citerai en particulier le cas de la chimie clinique, de la biologie clinique, celui de la bromatologie et de la cosmétique, sans oublier cette activité en pleine expansion de la biotechnologie. A mon sens, il s’agit pour nous de proposer une solution qui nécessite obligatoirement un choix entre deux conceptions. Je me refuse, évidemment, à envisager une certaine conception qui consisterait à dire que la faculté dispense un enseignement qu’elle juge nécessaire pour la formation du pharmacien, sans se soucier de l’avenir du jeune diplômé et de son insertion dans la société qui a fait des sacrifices pour assurer sa formation et qui est en droit d’exiger de lui de se mettre à son service. Donc, les facultés de pharmacies devront, a priori, assurer la formation de cadres pharmaceutiques pour répondre aux besoins actuels de nos pays.

Quelle orientation ?

Quelles sont les orientations qu’elles doivent donner à leur enseignement pour accomplir cette mission ? Il est nécessaire de rappeler un certain nombre de constatations : tout d’abord, la tendance de l’écrasante majorité de nos jeunes diplômés à solliciter un emploi au terme de leurs études universitaires qui durent en général de 5 à 6 années après le baccalauréat et des fois plus. Les raisons de cet état de fait sont multiples, et tout à fait défendables et il serait très long de les expliquer... La deuxième constatation que l’on peut faire, c’est la tendance à acquérir, durant les études universitaires, une formation de plus en plus spécialisée. En d’autres termes, la tendance à ce que, au terme de 5 à 6 années d’études à l’université, l’étudiant acquiert un diplôme qui le rend apte à exercer immédiatement un métier dès sa sortie de la faculté. Ceci étant, quelle serait la solution à retenir pour la formation de nos pharmaciens ?

(A suivre)

Y. D. : Service de thérapeutique, Faculté de médecine d’Oran



Par Yahia Dellaoui

mardi 3 novembre 2009

La révolution de Novembre victime du révisionnisme ?

Vous êtes à la recherche du souvenir et de ses spectres. Nous, nous cherchons le spectre de l’espérance », G. Khalil Gibran, 1954-2009. Cinquante-cinq ans déjà ! Plus d’un demi-siècle, c’est à la fois une éternité et une période si courte. Une éternité si on se place du point de vue des individus, mais un laps de temps dans l’histoire des nations. Mais dans un cas comme dans l’autre, Novembre continue d’alimenter la controverse.

Une controverse d’autant plus préoccupante qu’elle véhicule de manière insidieuse une problématique fondamentalement inopérante (on ne peut en aucun cas refaire l’histoire) et fortement dangereuse (la guerre de libération a été inutile) et qui consiste non pas à expliquer les raisons objectives et subjectives pour lesquelles les faits se sont déroulés de la sorte qu’on connaît, mais plutôt à spéculer sur des alternatives « moins onéreuses » en vies humaines, en bouleversements socioéconomiques et culturels et en ruptures géopolitiques et stratégiques. Bref. A bien écouter les tenants de ces alternatives, la révolution de Novembre telle qu’elle s’est déroulée et le système politico-économique et social qu’elle a engendré ont été « un fiasco total » et la situation actuelle est de loin moins bonne que celle que connaissait le pays avant l’Indépendance. Les arguments utilisés par ce courant de plus en plus fort au sein certaines « élites » nationales n’ont d’équivalent en abjection que leur cynisme, leur mépris et leur cupidité pour tout ce qui est national.

Qu’on en juge par les arguments qui sont les plus récurrents ! La révolution de Novembre a été coûteuse en vies humaines et nous aurions pu éviter cela si nous avions opté pour la voie pacifique. Nous aurions pu aussi garder des relations privilégiées avec la France et de ce fait maintenir « nos » pieds-noirs et « nos » juifs avec lesquels le pays aurait été mieux géré et donc mieux loti. La langue française, langue du rationalisme et de la science, nous aurait permis de nous engager de manière plus importante et plus déterminée dans la modernité. La guerre de libération et le régime post-indépendance ont bouleversé les valeurs culturelles et sociales, etc. Ces arguments sont d’autant plus insidieux qu’ils procèdent d’une approche manichéenne de la réalité historique et cachent mal le désir inconscient de ces « élites » de se substituer, en termes de position sociale, aux colons d’antan alors qu’il serait peut-être plus bénéfique pour tout le monde de s’affirmer en tant que couche sociale supérieure, comme cela s’est fait et se fait dans la plupart des pays du monde ! Cacher des prétentions de classes pour lesquelles il faut se battre par des spéculations honteuses sur le cours de l’Histoire relève de la plus haute amoralité ! Et pour cause. Prenons ces arguments un à un et essayons de les confronter à quelques éléments concrets de la réalité historique.

D’abord le coût de la Révolution de Novembre

Même la France qui a tardivement reconnu le caractère de « guerre » à cette période jusqu’alors définie par le prudent euphémisme « d’événements d’Algérie » a reconnu sa responsabilité dans la tournure prise par le confiit pour n’avoir pas pris à temps les mesures économiques, sociales et politiques nécessaires du fait de la pression des lobbies coloniaux. En matière d’économie et dès 1930, les départements d’Algérie représentaient non seulement la plus grande part des déficits budgétaires, mais aussi une importante balance commerciale déficitaire avec la Métropole. En matière sociale, la population algérienne qui avait le plus souffert du krach de 1929 continuait de sombrer dans une misère sociale indescriptible malgré des financements énormes à fonds perdus dont la presque totalité bénéficiait aux colons. En matière politique et dès la fin de la Secondaire Guerre mondiale, la France octroyait en 1944 la nationalité française à 16 000 Algériens sur 9 millions et noyait dans le sang les manifestations du 8 Mai 1945 alors que les accords alliés avaient reconnu aux populations colonisées le droit à l’autodétermination.

Ensuite « la perte » des Pieds-Noirs et des Juifs

Dans la déclaration du 1er Novembre 1954, le Front de Libération Nationale reconnaissait la qualité d’Algériens aux pieds-noirs et appelait sans ambages cette population à se joindre aux côtés de leurs concitoyens musulmans à la revendication d’indépendance de l’Algérie dans un esprit de fraternité, de liberté et de coopération avec la France. Dans le même esprit, et dans une correspondance adressée aux responsables du Consistoire juif, le FLN reconnaissait explicitement aux populations juives l’appartenance et l’attachement millénaires à l’Algérie malgré le décret Crémieux qui les avait insidieusement coupés du reste de la population et demandait à ce titre leur participation à la lutte du peuple algérien pour son émancipation. Dans les deux cas, seule une infime minorité des deux communautés répondirent à l’appel. Récemment encore, le président Ahmed Ben Bella rappelait que dès la première année de l’indépendance, il n’avait cessé de demander aux pieds-noirs de retourner en Algérie en leur apportant toutes les garanties de protection et de sécurité, demandes qui, comme on le sait, resteront sans réponse. Pour les juifs algériens, comme d’ailleurs pour les juifs du Maghreb en général, la création de l’Etat sioniste d’Israël orienta fortement les choix.

La langue française nous aurait permis d’entrer dans la modernité

La modernité n’est pas seulement une affaire de langue. Car si tel était le cas, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Mali où la langue française est officielle, ou bien le Malawi, le Nigeria et le Zimbabwe qui ont adopté la langue anglaise comme langue officielle seraient des pays modernes. La modernité comme se le demande A. Laraoui n’est-elle pas en définitive « un processus sans fin » à la conjonction de phénomènes divers, nombreux et contradictoires qui relèvement des sociétés, des cultures, des parcours historiques, des sciences, des arts, des pratiques économiques et sociales et des influences entre les nations ? Sinon, comment expliquer les pieds de nez que nous assène la dure réalité actuelle caractérisée par un retour combien inexplicable et inexpliqué d’un conservatisme messianique puissant représenté par l’Administration républicaine US et décidément fortement implanté dans un pays à la pointe du modernisme comme les Etats-Unis ? Aussi, faut-il se demander si à la différence de la société qui heureusement semble à la pointe du combat pour la modernité entendue comme émancipation, ce ne seraient pas « nos élites » qui, dépassées, en viendraient à « revendiquer » à travers la question linguistique une sorte de statut spécial. Un peu comme les colons.

La Guerre de Libération et l’Indépendance ont bouleversé les valeurs

Toutes les guerres bouleversent les valeurs. C’est la paix qui permet la reconstruction des valeurs. Mais la reconstruction des valeurs se fait par la société. Et comme la société a été changée par la guerre tant du point de vue de la constitution, de la mobilité interne et externe, des conditions économiques, culturelles et politiques, la reconstruction participe aussi de la reconduction ou non des valeurs antérieures jamais en totalité et toujours avec l’émergence de valeurs nouvelles. Ainsi va le monde et nul ne peut s’y opposer. Chaque société crée ses propres lois, non en fonction de ce qui a été vécu mais en fonction de son vécu propre et de sa perception de ses aspirations et de son devenir. C’est un processus de destruction-création. Ainsi en va-t-il des relations individuelles, collectives, familiales et sociales. Ainsi en va-t-il également des relations économiques et politiques. On peut admettre que l’Indépendance n’a pas été à la hauteur des attentes tant il est vrai que ces attentes se sont, au fur et à mesure des années, transformées en attentisme. En attentisme social à l’avant-garde duquel se situaient « les élites » sociales. Celles-là mêmes qui parlent d’alternatives ! Alors ! Novembre victime du révisionnisme ? C’est d’abord aux élites authentiques de répondre.

L’auteur est journaliste Indépendant



Par Mohamed Iqbal

dimanche 1 novembre 2009

CRITIQUES SUR LE FONCTIONNEMENT DE L’ETAT ALGÉRIEN : Arrêtez la démogogie!

La révision constitutionnelle du 12 novembre 2008 avait pour objet de supprimer la limitation du nombre des mandats et non d’instaurer la présidence à vie

La corruption existait du vivant de H. Boumediène qui a cherché en vain à la combattre, après l’avoir vigoureusement dénoncée. Elle s’est considérablement développée par la suite.

De nombreux hommes politiques et observateurs ont récemment dénoncé de façon véhémente la centralisation du pouvoir dont ils rendent seul responsable le président de la République. Par ailleurs, ils accablent l’Etat algérien, reprenant à leur compte le qualificatif de «déliquescent» que lui accole l’ancien chef de gouvernement A. Benbitour. Il ne s’agit pas ici de donner quitus au bilan provisoire du chef de l’Etat. Il s’agit de mettre au jour une ignorance feinte ou réelle du fonctionnement de l’Etat algérien, une sous-estimation volontaire de la complexité des processus de décision en amont comme en aval et la négation implicite du poids du factionnalisme, au sein des sphères dirigeantes, alors que celui-ci constitue un invariant de l’histoire politique de l’Algérie. Nous passerons en revue l’essentiel des griefs adressés au président de la République.

Sur le «coup d’Etat constitutionnel»
La révision constitutionnelle du 12 novembre 2008 avait pour objet de supprimer la limitation du nombre des mandats et non d’instaurer la présidence à vie de quelque candidat que ce soit. Elle n’a pas introduit l’unicité de candidature, de sorte que tout Algérien répondant aux critères d’éligibilité eût pu se présenter. Dans la Constitution algérienne, on peut être candidat à la magistrature suprême ad vitam aeternam. Il n’en résulte pas qu’on puisse être président à vie. Comme je l’ai déjà dit (V. L’Expression du 28 avril 2009), au moins douze candidats d’envergure nationale (dont un ancien président de la République et six anciens chefs de gouvernement) auraient pu faire acte de candidature. Ils auraient pu constituer pour la circonstance, une sorte de coordination pour l’alternance au pouvoir sans avoir besoin d’élaborer un programme de gouvernement ou même d’aboutir à un diagnostic partagé de la situation algérienne. Or, il n’en a rien été. Et il est admis aujourd’hui que l’institution militaire n’est pas intervenue pour dissuader telle ou telle personnalité de solliciter les suffrages populaires. Le Président Bouteflika a demandé au peuple algérien de lui renouveler sa confiance, afin qu’il puisse achever les chantiers ouverts lors du 2e quinquennat. En dehors de lui, aucun candidat déclaré n’aurait pu remporter l’élection présidentielle. Mais un retour en arrière s’impose. Entre 1999 et 2009, aucun des contempteurs actuels du président de la République n’a pris une seule initiative tendant à conférer un minimum de crédibilité à son statut d’opposant supposé: création d’une formation politique, d’un cercle de réflexion, d’une société savante, d’une association. L’opprobre jeté, en son temps, sur Sid Ahmed Ghozali et Ahmed Taleb Ibrahimi n’a été dénoncé ni par M.Hamrouche, ni par A.Benbitour, ni par R.Benyellès, comme si la revendication démocratique était divisible ou à géométrie variable. Qui a empêché et empêche encore aujourd’hui les opposants au Chef de l’Etat de fédérer autour d’eux des universitaires, des chercheurs, des syndicalistes, des chefs d’entreprise, des cadres du secteur public et du secteur privé, des étudiants, pour réfléchir à un projet de société dont le pays aurait, à leurs yeux, urgemment besoin?
A. Benbitour vient enfin de franchir le pas. Bravo. Qu’il sache, en tout cas, qu’il n’entre pas dans les intentions du président de la République de saborder son initiative, comme il aura lui-même tout le loisir de le constater dans les semaines et les mois qui viennent. Il faut espérer qu’il fera des émules, mais cela est une autre histoire.

Sur la réconciliation nationale
D’abord, le président de la République n’est comptable, d’aucune manière, des tragiques évènements qui ont ensanglanté l’Algérie à partir de 1992. Ensuite, les prodromes de la réconciliation nationale avaient été lancés par le Président Liamine Zeroual en 1995 (loi sur la Rahma) puis confortés en 1997 par l’accord ANP/ AIS. Il eût été pour le moins paradoxal que le Président A. Bouteflika prît le chemin inverse de la dynamique mise en place dès l’origine par son prédécesseur. Il est vrai cependant que le processus de réconciliation nationale n’a pas obéi aux phases successives auquel il a été soumis, par exemple en Afrique du Sud, et il est incontestable que les conditions d’application des lois de 1999 et de 2005 n’ont pas toujours été conformes à la lettre autant qu’à l’esprit de leurs dispositions respectives.
Ceci posé, il est normal que le président de la République invite instamment aujourd’hui les bénéficiaires du pardon à revenir sur le droit chemin, alors que tous les repentis ont pu se réinsérer socialement et se mettre définitivement à l’abri de toute poursuite. On attend, à présent, avec impatience que les initiateurs du contrat de Rome du 13 janvier 1995, décernent le satisfecit qu’il mérite au président de la République, puisqu’à l’évidence, celui-ci a su mettre en oeuvre tout ce qu’ils n’avaient eu de cesse de réclamer, à savoir, en substance, la réconciliation nationale.

Rente, scandales et corruption
La corruption n’a pas commencé avec le retour de A. Bouteflika aux affaires. Elle existait du vivant de H. Boumediène qui a cherché en vain à la combattre, après l’avoir vigoureusement dénoncée. Elle s’est considérablement développée par la suite. Si elle revêt aujourd’hui une dimension inquiétante, comme le prouve le dernier rapport de Transparency International Algérie, c’est parce que notre pays a engrangé des dividendes considérables, grâce à l’envolée des prix du pétrole et parce que les activités du commerce extérieur ne sont pas régulées, offrant ainsi à des milliers de pseudo-opérateurs du commerce extérieur la possibilité de gains considérables grâce auxquels nombre de fonctionnaires de l’Etat se font graisser la patte. Ceci dit, le président de la République peut difficilement accepter la collaboration de personnes dont la justice (et non pas la rumeur) aurait démontré qu’ils ont commis des actes criminels ou délictueux. Le président de la République s’est engagé à moraliser le vie des affaires et vient de réaffirmer solennellement, le 28 octobre dernier, à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire, sa détermination à lutter vigoureusement, grâce à des moyens décuplés, contre la corruption et à sanctionner tout corrompu, quel que soit son rang dans l’Etat. Il faudra donc juger sur pièces. Nous sommes bien d’accord que, sous réserve de la présomption d’innocence, personne ne doit se considérer comme au-dessus des lois. Cependant, personne n’a le droit de confondre entre les scandales survenus sous la présidence de A. Bouteflika avec ceux qui n’auraient été rendus possibles, selon ses opposants, qu’avec sa bénédiction. Ce sont là des affirmations qui sont aux confins de la diffamation. Depuis 1999, le président de la République n’a ni ordonné, ni béni, ni cautionné quelque transgression de la loi que ce soit. Les affaires Tonic Emballage, BCIA, El Baraka Bank, PNDA, FNDRA ne concernent a priori, ni de près ni de loin le chef de l’Etat. La justice a été saisie dans certains cas, elle le sera dans les autres. Il faut la laisser accomplir son office en toute sérénité.

Sur les mesures impopulaires en cascade
Les adversaires du président de la République visent, notamment la loi de finances complémentaire pour 2009. En quoi la LFC édicte-t-elle des mesures impopulaires? Mesures impopulaires que celles qui créent des niches sociales, afin d’inciter les chefs d’entreprise à recruter, à former et à mieux rémunérer les salariés? Il ne s’agit pas ici de se prononcer sur l’efficacité future de ces dispositifs mais de reconnaître qu’ils s’inspirent d’une volonté des pouvoirs publics de combattre le chômage.
Mesures impopulaires que celles qui visent à traquer les fraudeurs qui se jouent de toutes les réglementations et affichent avec insolence des signes de richesses qu’ils ont indûment accaparées? Mesures impopulaires que celles qui visent à préserver nos ressources en devises? Certains irresponsables, dans l’opposition comme dans la société civile, pensent qu’il sera facile de revenir vers le FMI, si d’aventure nos réserves de change devaient fondre en quelques années et qu’il nous sera fait bon visage? Ils se trompent lourdement. En revanche, il est vrai que l’Algérie aurait dû élaborer un code des investissements privilégiant les investissements productifs (et non un texte s’adressant de façon indiscriminée à tous les projets économiques et commerciaux), adopter dès l’origine une réglementation des changes moins libérale, s’assurer que nos PMI/PME avaient déjà été mises à niveau, négocier plus longuement l’Accord d’association avec l’Union européenne, en s’inspirant des expériences marocaine, tunisienne et égyptienne. La stratégie industrielle (remise en selle en 2009) aurait dû être élaborée il y a dix ans et depuis, largement mise en application (elle aurait certainement déjà donné des résultats prometteurs).
L’aménagement du territoire aurait dû figurer parmi les toutes premières préoccupations des pouvoirs publics, avant que la menace de la ruralisation de nos villes ne devienne irréversible et l’étroite bande côtière du pays occupée par 80% de la population.
S’agissant de la loi relative aux hydrocarbures du 28 avril 2005 que d’aucuns qualifient de «loi scélérate», comment ne pas mettre au crédit du président de la République sa quasi-abrogation, 15 mois plus tard (le 29 juillet 2006), avant même qu’un seul texte réglementaire n’ait été publié pour son application. Le président de la République s’est ravisé, après s’être laissé circonvenir par des personnalités liées à des officines étrangères. Dont acte. Aucun gouvernant n’est omniscient. C’est la persistance dans l’erreur qui appelle réprobation et condamnation. En ce qui concerne les retards dans la réalisation des logements, les impérities de l’Aadl, les glissements de plannings contractuels pour ce qui concerne l’autoroute Est/Ouest ou le métro d’Alger, faut-il rappeler à certains esprits égarés que le président de la République n’est pas un chef de chantier. Il appartient aux institutions créées par l’Etat et dotées de tous les moyens, aux entreprises retenues, à leurs sous-traitants, aux différents maîtres de l’ouvrage d’exercer leurs responsabilités et de cesser de se défausser sur les responsables de l’Exécutif. Le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, N.Moussa, qui se bat bec et ongles pour qu’un million de logements soient livrés d’ici 2014, conformément à la feuille de route que lui a fixée le chef de l’Etat, n’est pas non plus un conducteur de travaux. Les défaillances sont imputables à certaines APC et APW qui ne veulent pas assumer leurs responsabilités, malgré les injonctions du ministre de l’Intérieur qui n’est pas non plus l’enchanteur Merlin.
Ni le président de la République, ni le ministre de l’Intérieur, ni celui de l’Urbanisme ne commandent à la mafia du ciment, celle du sable et celle des autres matériaux de construction qui disposent toutes de relais au sein des collectivités territoriales. Qu’il faille mettre hors d’état de nuire une telle engeance est bien le moins. L’ensemble des institutions de l’Etat est mobilisé à cet effet, mais la lutte contre le grand banditisme est extrêmement ardue et longue.

Sur l’Etat déliquescent
Il est clair que l’Etat algérien n’est pas un Etat déliquescent et qu’il ne sera jamais touché par le syndrome somalien, comme semblent le redouter ou peut-être l’espérer quelques bons esprits. L’Etat algérien doit cependant s’engager sans délai dans la diversification de notre économie, la lutte implacable contre les réseaux mafieux transnationaux, le renforcement des prérogatives de toutes les institutions de contrôle, la réforme du système éducatif, le démantèlement des oligarchies locales, au besoin en remettant à plat toute l’organisation territoriale. Mais surtout afin de prévenir toute nouvelle dégradation du climat social et reconquérir l’Algérie laborieuse et intègre (c’est grâce à elle que le pays tient encore debout et c’est sur elle que le chef de l’Etat gagnerait à s’appuyer), le président de la République devra rompre impérativement toutes les amarres avec ceux qui, ayant abusé de sa confiance, confondent les centaines de milliards de DA d’argent public dont ils sont les ordonnateurs avec leur tirelire personnelle.

(*) Professeur de droit
Ancien élève du Doyen Mahiou

Ali MEBROUKINE (*)

samedi 31 octobre 2009

Le Salon du livre 2009 d’Alger, un arbre qui cache la forêt

Alors que nous étions familiers du Sila des années 2000 et de la Foire du livre d’Alger (FILA) des années 1980, voilà qu’on nous annonce en 2009, un festival sous chapiteau. Car par décision gouvernementale, les manifestations culturelles se déclinent par des festivals institutionnalisés par décrets, régentés pas des commissaires et dotés de budgets confortables, si on s’en remet à la rumeur publique qui enfle.

A mesure que les silences officiels sur la gestion des deniers publics se font pesants, cette édition annonce de grands chambardements puisque la pléthore des organisateurs des années précédentes a été virée (ANEP, Safex, SNEL, SPL, Aslia... ) et le Palais des Expositions des Pins Maritimes a été boudé. Jusqu’au mois de septembre dernier, ni le lieu ni la date n’étaient connus alors qu’habituellement, c’est au printemps de chaque année que les modalités d’organisation sont annoncées, les Salons internationaux devant obéir à des calendriers fixes qui permettent une meilleure participation des partenaires étrangers.

Qui organise les Salons et pourquoi ?

A l’ère du parti unique, de 1980 à 1986, la SNED puis l’ENAL, sous la coupe du ministère de la Culture, régentaient toute l’organisation du SILA. Pas d’organisation professionnelle pas de tiraillements dans les institutions, du moins officiellement. Après les années noires à partir de 1999/2000, nous avons connu des Salons du livre initiés par des opérateurs privés : éditeurs, importateurs et leurs associations professionnelles naissantes. En 2003, l’Etat a remis les pendules à l’heure par son bras séculier, l’ANEP qui échappe à la tutelle du ministère de la Culture et accapare tous les pouvoirs d’organisation. Une guéguerre larvée ne cessera d’opposer l’ANEP alliée au SPL (organisation fantomatique d’une poignée d’importateurs) à l’Aslia (un syndicat de libraires peu représentatif également) au SNEL (syndicat d’éditeurs) ; la Safex se contentant de gérer Ia logistique du Palais d’Expositions. Il faut savoir que cette manifestation constitue une manne financière importante (chaque mètre carré loué rapporte 60 $ US) que se répartissent les organisateurs, en tant que personnes morales et/ou physiques. Un système d’invitations, de voyages, de visas, de locations de voitures privées, de prestations diverses de sécurité et de suites réservées dans les plus luxueux hôtels du pays a permis de maintenir un voile opaque sur les coulisses de ce Salon. De façon exponentielle, ces dernières années, les intérêts se sont déplacés vers les pays arabes dont le nombre de stands et les milliers de volumes de littérature prétendument arabe ou islamique ont totalement modifié le visage du SILA d’Alger.

Ce dernier est devenu un immense bazar de diffusion de produits ayant peu de rapport avec le livre, la science, l’art ou la culture et brassant des sommes importantes transférées en toute légalité et en exonération de droits et taxes. Cette prise en otage du SILA par le livre religieux exigerait d’ailleurs de dissocier clairement les deux manifestations laissant le soin aux institutions religieuses la création d’un authentique Salon du livre religieux favorisant la création éditoriale locale au détriment des importations massives des pays arabes. Les éditeurs étrangers de réelle valeur culturelle se sont mis à fuir ce Salon confiant leur représentation à des opérateurs locaux peu initiés à la gestion de leurs catalogues et commandant toujours les mêmes livres les moins chers les best-sellers, ceux destinés au plus large public ; au détriment des ouvrages de qualité, que recherchent les étudiants, les professionnels, les amateurs de beaux livres et de belle littérature. Le constat s’imposait chaque année davantage : le SILA devenait un sacré bazar ! Placée sous l’égide des plus hautes autorités du pays, la manifestation échappait à tout contrôle de la société civile.

Est- ce normal que les bibliothécaires, les enseignants, les écrivains, les organisations sociales, culturelles et professionnelles n’aient jamais été associées à l’organisation et à la conception même du Salon ? La surpolitisation a atteint des sommets avec l’utilisation abusive des thèmes racoleurs du nationalisme et de l’anticolonialisme à bon marché, de la récupération politicienne des grands noms tels que Kateb, Djaout ou Dib que ces mêmes institutions ont pourtant toujours honnis de leur vivant. Des piles de catalogues et livres prétendument préfacés par le président de la République s’ouvrant sur son portrait officiel, le regard inquisiteur et l’emblème national en fond, s’empilaient dans tous les espaces du Salon. En Chine ou en Corée, ils devaient sacrément nous jalouser !

Quelle a été et comment a évolué la vocation du Salon d’Alger ?

Le citoyen lambda ne pouvait que récriminer : pourquoi ne trouve-t-on plus les ouvrages de littérature, d’art, de médecine, de sciences et techniques ? Devait-on se résigner à ne vivre, ne lire et ne se distraire qu’avec ces éditions pléthoriques d’ouvrages scolastiques primitifs ? En fait, par ce Salon s’affirmait définitivement la prééminence de la servilité et de l’instrumentation des « intellectuels organiques ». Aucune voix discordante, aucun livre subversif ne devenait sortir des rangs. On se rappelle les scandales causés par les interdictions de Boualem Sansal, Mohamed Benchicou, Salim Bachi ou Taos Amrouche dont l’ éditeur français, François Geze, ne trouve toujours pas grâce aux yeux du pouvoir politique. Bien sûr, officiellement, c’était le livre religieux séditieux qui était visé. Aucune organisation professionnelle n’a protesté, rares sont les personnalités qui ont osé condamner ces atteintes à la liberté et au droit de contester et réfléchir autrement. « Ettes, Ettes mazal ’hal, macci d kcc ig sah wawal » (Dors, dors tu as tout ton temps. Tu n’as pas encore droit à la parole), chantait Aït Menguellet.

C’est ce discours qu’on ressort aux syndicats autonomes, aux journalistes indépendants, aux associations culturelles et sociales. Le Salon du livre a eu cette vocation, il a donné le la à la gent médiatico-politique dans tout le pays : taisez-vous, rentrez dans les rangs ! S’il fallait une illustration à ce constat, la voici : les ex-PDG de l’ANEP et de l ’ENTV viennent d’être honorés pour leurs éminents services, ils sont nommés ambassadeurs d’Algérie, ministres plénipotentiaires de la République. La vocation du Salon a donc évolué de façon significative. Dans les années 1980 c’était une manifestation populaire grandiose citée par tous les professionnels comme une des plus grandes foires du monde, offrant un bel équilibre entre des chiffres astronomiques des ventes (plus de 300 millions de dinars des années 1980 lorsque celui-ci était échangé à 1 DA = 1,66 francs français) et un niveau inégalé de qualité des stands, tenus par les PDG des plus grandes maisons d’édition, Charles-Henri Flammarion, Claude Cherki ou Antoine Gallimard en personne qui présentaient les dernières nouveautés de leurs catalogues.

La seconde vie du SILA, à l’orée des années 2000, a été une courte période d’euphorie qui a permis de caresser le fol espoir de voir le pays sortir des ornières de la dictature et de la régression culturelle. On échafaudait des plans de réforme de l’école, de l’université, de la justice, de la liberté de la presse et d’édition qui auraient permis au marché du livre de connaître l’essor qu’il aurait mérité. Je me souviens de Mme Toumi, alors député RCD, qui nous demandait des dossiers sur tous ces projets. Imaginez une multitude d’éditeurs algériens de livres scolaires et universitaires se disputant le seul marché qui vaille, puisque ces millions de livres génèrent des chiffres d’affaires importants qui peuvent donner naissance à une vraie concurrence dont auraient émergé les talents, les compétences, le savoir-faire qui font si cruellement défaut à nos pauvres éditeurs nationaux, réfugiés dans les secteurs parallèles de l’édition. Le parascolaire déplorable, les livres mémoires des anciens combattants et les prétendus « beaux livres » sépia vantant l’Algérie de papa coloniale, représentant ces indigènes pittoresques misérables joqueteux et les femmes lascives offertes au regard concupiscent des légionnaires et autres touristes sexuels de la belle époque. Elle est belle l’édition algérienne...

On a tué dans l’œuf toute perspective pluraliste et dynamique pour réinstaurer la pensée unique et la bazardisation de toute la société. Sous la férule des associations caporalisées par le système grâce à un immense tuyau d’arrosage déversant des subventions, des soutiens du livre, des achats groupés, des commandes publiques, des achats institutionnels, on a fait du Salon du livre un immense déversoir de la littérature djihadiste et du livre de bas de gamme de tous les continents et dans toutes les langues laissant peu de place à la création éditoriale locale et à l’émergence d’une corporation d’éditeurs dignes de ce nom. Depuis deux ans, les éditions INAS se voient arbitrairement refuser toute commande institutionnelle et toute édition nouvelle par le refus de délivrance du dépôt légal et ISBN. Quelques rares éditeurs nationaux ont obtenu une petite part du gâteau du livre scolaire algérien puisque trois d’entre eux sont « homologués » pour offrir moins d’une vingtaine de titres vendus au ministère de l’Education nationale. Ils tirent en quelques millions d’exemplaires tout de même, leur assurant ainsi la surface nécessaire au déploiement de leurs éditions dans d’autres créneaux. Grand bien leur fasse, mais n’est-ce pas ainsi qu’on a fabriqué le double collège de triste mémoire dans l’édition natio-nale ? Au nom de qui de quoi doit-on continuer à interdire à des éditeurs algériens de publier librement les ouvrages de leur choix ou bien de participer à l’édition des livres scolaires ? Cet apartheid sert les intérêts de qui ? Pourquoi le silence et la chape de plomb sur ce sujet ? Comment accepter « la fureur de lire » du livre religieux et l’absence quasi-totale du livre scolaire et universitaire dans nos Salons du livre ? Pourtant, Dieu sait l’angoisse des parents et des étudiants lors de chaque rentrée scolaire.

Un Salon pour quoi faire ? Quelle est sa place dans la chaîne de distribution du livre ?

On pourrait se prendre à rêver d’une Algérie dans laquelle nous marcherions enfin surs nos pieds allant de l’avant en chaîne solidaire de citoyens libres, avides de savoir et de lecture, l’écrivain, le poète, le chercheur sèmeraient librement et à tout vent leurs graines. Les éditeurs s’empresseraient de les recueillir pour les semer, puis les éditer librement. Ils iraient ensuite les distribuer dans des bibliothèques qui les prêteraient à des milliers de lecteurs dans les coins les plus reculés du pays. Ils les vendraient 13 à la douzaine dans des librairies nombreuses, achalandées et belles à fréquenter.

Puis à l’orée de l’automne, à l’instar des belles fêtes des vendanges, des dattes ou des tapis de jadis, on organiserait une immense fête populaire qui réunirait les plus beaux crus les meilleurs poètes et romancier les meilleurs ouvriers et ouvrières pour les distinguer, les honorer et chanter leurs louanges. Sans entrave, sans interdit dans la liberté et l’intelligence. On y inviterait nos cousins du Nord et de l’Orient, ceux du Sud et de l’Occident pour goûter à leurs produits et partager ensemble les saveurs des réalisations éditoriales communes. Un Salon c’est juste cela, une fête, des retrouvailles, un beau marché coloré, bruyant et chaleureux à souhait, un moment de partage dans lequel le commerce des idées et des marchandises ferait enfin bon ménage.Mais le poète a dit : « Ettes, ettes Mazal l’hal ! »

Les professions du livre, leurs organisations et leurs rapports aux institutions étatiques

La gangrène de notre société s’appelle corruption, elle envahit les esprits, les sens, les hommes et les femmes, même les enfants n’y échappent pas. L’argent public se déverse à flots dans les comptes privés selon des modalités qui échappent à la morale et à la raison. Le secteur culturel n’y échappe pas malheureusement. L’interpénétration entre mission publique et entreprises privées épouse les méandres de notre organisation sociale fondée sur le « beni-amisme » et le népotisme, L’enfant naturel de cette liaison coupable s’appelle le béni-oui-ouisme. Voici les ingrédients qui ont fait le lit du marasme culturel que nous vivons, de l’indigence de nos éditions incapables près de 50 ans après 1962 de produire des dictionnaires et des encyclopédies qui décriraient nos langues maternelles, le berbère et l’arabe algérien, nos plantes, nos insectes, notre géographie et notre histoire millénaire.

C’est à Beyrouth ou à Paris que nos enfants vont glaner ces connaissances dans les Mounged, Larousse et Hachette réglés rubis sur l’ongle par notre belle rente pétrolière. Et il se trouvera des esprits chagrins pour critiquer nos beaux festivals de « Mikyette », nos chers festivals de livres de jeunesse garantis « pur islamyate », et que dire de ces innombrables Salons de livres financés par les wilayas qui font le bonheur des rois de la piraterie en matière d’édition défiant toutes les lois et les bonnes mœurs de nos métiers du livre. Tant que les professionnels n’auront pas fait le ménage en leur sein en écartant les « trabendistes » et les lobbyistes de mauvais aloi, les pouvoirs publics n’auront d’autre ressource que de porter à bout de bras des baudets dont ils auront beaucoup de mal à faire des chevaux de course. Pour conclure, ne nous laissons pas égarer dans des querelles de chapiteaux et de cirque et cessons de nous cacher les évidences criantes : la liberté d’expression et de création et la guerre à la corruption sont les deux mamelles de la naissance culturelle dans ce pays, de la culture et de tout le reste. Et tout le reste n’est que littérature ...

L’auteur est éditeur


Par Boussad Ouadi

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