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samedi 24 octobre 2009

La wilaya de Tizi Ouzou en immersion dans les ordures

Quel que soit le chemin que l’on emprunte pour entrer dans la ville de Tizi Ouzou, on est accueilli par des tas d’immondices et de détritus de toutes sortes qui jonchent les bretelles d’accès.

A l’intérieur de la cité des Genêts, le décor est repoussant. De nombreux dépotoirs occupent les quartiers de la ville et des poubelles crasseuses à la couleur d’un vert franchement laid sont - parce qu’elles ont pour la plupart perdu leurs roues - littéralement couchées sur des trottoirs souvent éventrés et sales. Horrible vision que celle qui est proposée au citoyen et au voyageur de passage. Toutes les villes et toutes les communes de la wilaya de Tizi Ouzou sont dans le même état, c’est-à-dire ,vautrées dans les ordures. Une véritable poubelle à ciel ouvert et une pollution de l’environnement qui va hypothéquer sans nul doute l’avenir écologique de la région. Une catastrophe innommable et à terme une menace pour la santé publique. 1500 décharges sauvages sont répandues à travers la wilaya et... quelques décharges autorisées, tout aussi hideuses. Ces dépotoirs non contrôlés occupent et défigurent les pistes agricoles, les chemins communaux et de wilaya, aucune voie de circulation n’est épargnée, ils envahissent également les forêts, les ravins et les cours d’eau. Faut-il souligner, qu’à cause de ces derniers, le bassin versant du barrage de Taksebt est particulièrement « infecté » ? En amont de la retenue, il est loisible de constater les innombrables objets flottant à la surface de l’eau et les nombreux tas de gravats et de sacs poubelles déposés, par camions entiers, sur ses rives. Pollution à laquelle viennent s’ajouter les eaux usées et non traitées déversées par les communes riveraines. Un magnifique lac, un joyau non protégé et certainement déjà en danger. La même menace pèse sur les nappes phréatiques, un risque potentiel pour la santé des consommateurs de cette précieuse ressource... l’eau, une richesse de notre wilaya, notre pétrole...

Des décharges qui sont une agression quotidienne de l’habitant de la région et qui génèrent chez ce dernier des comportements préjudiciables pour la cohésion sociale. Une pomme de discorde entre les citoyens qui refusent, plus souvent à raison qu’à tort, la localisation d’une poubelle dans les parages de leur domicile. Pour se prémunir de l’agression visuelle et olfactive mais aussi pour tenter de réduire le risque pour la santé engendré par la proximité des immondices — une « overdose », il faut le dire, car des décharges, nous le disions, il y en a partout — le citoyen n’en veut pas dans son voisinage, dans l’entourage de son quartier ou de son village, quand bien même les ordures sont les siennes. « La poubelle doit être chez le voisin », en tous cas ailleurs, le plus loin possible du regard et du nez, de crainte de « subir » les odeurs nauséabondes qu’elle dégage et les fumées toxiques qui en émanent, parce que ces ordures brûlent en permanence, engendrent des conflits entre les habitants et compromettent, par des oppositions souvent systématiques, les rares décisions d’installation de décharges contrôlées. Les exemples des communes d’Azazga et de Fréha sont à ce titre édifiants. Le citoyen ne fait plus confiance aux pouvoirs publics — ni d’ailleurs aux élus, même si ces derniers n’ont aucune emprise sur les problèmes relatifs à l’environnement — qui ne mettent en place aucune initiative pour améliorer le cadre de vie de la population et qui n’ont pas non plus de politique nationale visible pour sauvegarder notre environnement. L’inertie de l’Etat face à ce fléau et son apparente indifférence devant la multiplication, à travers le territoire national, des décharges sauvages, ont rendu méfiants les Algériens. Les pouvoirs publics sont restés trop longtemps absents sur ce terrain. Le laisser-aller dont ceux-ci se sont rendu coupables a ruiné non seulement la nécessaire confiance que le citoyen doit manifester à l’endroit des institutions de la République mais a également dissolu les liens sociaux et les indispensables et mutuels rapports conviviaux qui doivent prévaloir dans les relations entre les personnes. Dans la wilaya de Tizi Ouzou, ce problème se pose avec encore plus d’acuité, cette région du pays, dont la population est de 1,3 million d’habitants, rejette 300 000 tonnes de déchets par an. Une superficie de 2958 km2, un mouchoir de poche et une densité parmi les plus élevées de la planète, 436 habitants au kilomètre carré. Dans ces conditions, les décharges sont inévitablement proches des villages et anormalement à proximité de la population. Les rejets sont donc visibles, agressifs et polluants. Qu’on ne vienne pas nous dire que les habitants sont indisciplinés et qu’ils jettent leurs ordures n’importe où. Il faut bien mettre ces ordures quelque part. L’Etat doit informer, éduquer, sensibiliser et si besoin est pénaliser. Il doit également offrir au citoyen des alternatives pour ses rejets. En l’occurrence, ce n’est pas le cas. Qu’on ne vienne pas nous dire non plus que les élus locaux ne font pas leur travail. Chacun sait que les communes, notamment rurales, ne disposent d’aucun moyen pour gérer les problèmes de l’environnement et de l’aménagement de leur territoire. Le maire ne dispose pas de budget spécifiquement alloué ni de prérogatives particulières lui permettant d’initier des actions pour aménager le territoire de sa commune et sauvegarder son environnement. Les collectivités locales reçoivent une petite aide financière, souvent péniblement arrachée et destinée uniquement à la collecte des ordures ménagères et leur acheminement parfois à plusieurs kilomètres de là, vers les décharges existantes.

Tout ce qui se rapporte aux projets relatifs à l’environnement est entre les mains de l’administration, c’est-à-dire, de la direction de l’environnement de la wilaya et de son ministère de tutelle. Pour autant, c’est le président de l’Assemblée populaire communale (APC) qui est décrié et vilipendé quand la qualité de vie du citoyen est mise à mal. L’Etat est en train de revoir le code communal, voilà une opportunité que les pouvoirs publics devraient saisir pour doter les communes de textes qui leur permettent de disposer, à l’intérieur de l’exécutif communal, d’une vice-présidence en charge de l’aménagement du territoire, de l’environnement et du tourisme. Le vice-président sera investi de la mission et aura toutes les prérogatives pour agir dans ces domaines, de nombreux pays, européens notamment, ont doté les collectivités locales de tels moyens. En Belgique, pour ne citer que ce pays, la commune possède en son sein un échevinat (l’échevin correspond à l’adjoint au maire) de l’environnement. Faut-il rappeler au lecteur que dans ce royaume, régionalisé, la wilaya (préfecture) et la daïra (sous-préfecture) n’existent pas dans l’organisation administrative du pays. La commune est la seule administration à laquelle s’adresse le citoyen pour toutes les affaires le concernant : passeport, carte de séjour pour étranger, permis de conduire, carte d’identité, extrait de naissance, etc. Une vraie décentralisation et une véritable démocratie de proximité. Dans notre pays, la mairie et le maire ont un pouvoir limité : même si le code communal actuel leur donne de très larges prérogatives, ils sont dépossédés des instruments qui leur permettent de les exercer, en particulier, les moyens financiers et juridiques qui sont toujours entre les mains de l’administration. Tout ce que le premier magistrat de la commune entreprend doit recevoir l’aval du comité technique de daïra, c’est-à-dire du chef de daïra. Il reçoit un maigre budget, deux à trois milliards de centimes par an pour le PCD Plan communal de développement (PCD). Un budget qui lui permet à peine « de bricoler et de s’occuper » pendant que les projets importants, comme l’aménagement des routes, l’alimentation en eau potable, l’assainissement, l’amélioration urbaine, etc, sont entre les mains du directeur des travaux public, de l’hydraulique, de l’urbanisme... encore une fois, entre les mains de l’administration. Plan sectoriel de développement (PSD) oblige, un procédé à gros budget et qui échappe totalement à l’emprise de l’élu local. Pour autant, quand la population est mécontente, parce qu’elle n’a pas d’eau ou de route, c’est le maire qui est discrédité et c’est la mairie qui est assiégée et fermée. La dernière spoliation en date des prérogatives du maire est l’obligation de certification, par le chef de daïra ou son secrétaire général, des documents d’état civil établis par l’ APC et destinés à l’étranger. Une autre façon de jeter le doute sur la probité des officiers d’état civil exerçant dans les mairies. Il est dit, dans une note destinée au public et signée de la main d’un chef de daïra, que cette mesure a « le souci de simplifier et d’alléger les procédures administratives... » et « ... d’améliorer les relations entre les citoyens et l’administration ».

Rien que cela. Au vu de cette concentration des pouvoirs entre les mains de l’administration, il est légitime de se demander ce que deviendra la relation citoyen-administration quand les wilayas déléguées viendront à être installées, quelle place aura la mairie dans tout cet imbroglio et quelles prérogatives lui seront en définitive dévolues ? Dépouillé progressivement de ses attributions légales, le président d’APC a juste le droit d’être le bouc émissaire quand la population souffre des insuffisances de l’administration qui ne va pas toujours au-devant des problèmes quotidiens des citoyens et qui paralysent quelque fois, il faut le souligner, volontairement les initiatives des élus. Ce n’est pas par hasard que les présidents d’APC du RCD de la wilaya ont, il y a peu, adressé — et pris à témoin la population — une lettre ouverte au wali, dénonçant les entraves administratives multiples qu’ils rencontrent dans la gestion des affaires de leurs communes et le peu de moyens que les pouvoirs publics mettent à leur disposition pour mener à bien leur tâche. La dégradation de l’environnement du citoyen et le problème des décharges ont été évoqués dans cette correspondance. La responsabilité de la pollution de notre environnement et la dégradation de la qualité de notre cadre de vie incombent à l’Etat. Il lui appartient de mettre en place une véritable politique nationale de l’environnement, de trouver les solutions adaptées et d’y mettre les moyens appropriés en fonction des situations et des spécificités, et de ce point de vue, il (l’Etat) a failli. Les responsables n’ont pas perçu les mutations des besoins de consommation de la société algérienne et prévu leur accroissement, comme ils n’ont pas vu venir l’augmentation, qui lui est corollaire, des déchets des ménages. Ils n’ont donc pas, au-delà du souci qu’ils auraient dû avoir pour l’environnement, anticipé sur les moyens à mettre en place pour collecter les rejets, les traiter et, pourquoi pas , les recycler. Quel est donc le rôle du ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et du Tourisme, et de ses directions de wilaya, si ce n’est aménager le territoire national, sauvegarder ce dernier de la pollution, le rendre vivable au citoyen, agréable au visiteur et au touriste mais surtout et en définitive prémunir l’héritage qui sera légué aux générations futures.

Bien sûr, évoquer dans les conditions actuelles l’idée même de l’écologie participe de la coquetterie et peut faire sourire, tant les préoccupations prosaïques sont immenses et pressantes. Quant à imaginer un ministère de l’Ecologie en Algérie, voilà une chimère, un impossible rêve. La wilaya de Tizi Ouzou est une grande victime de l’absence d’une politique nationale de l’environnement du fait, nous le disions, de sa spécificité. Une importante population dans une région « étroite », qui se débat dans des difficultés « endémiques » du foncier. Elle est, de ce fait, naturellement confrontée à des contraintes majeures. Particulièrement à cause de l’importance de son massif forestier et du Parc national du Djurdjura qui constituent à eux deux la majeure partie du territoire de la wilaya et qui sont protégés par la loi, il est dans ces conditions impossible de trouver les espaces appropriés pour y installer des décharges ou des centres d’enfouissement techniques. Un argument mis en avant, avec insistance et à juste titre, par les responsables locaux pour justifier l’absence de projets dans le domaine de l’environnement ou leur retard quand ceux-ci existent. L’autre raison alléguée est l’opposition des citoyens. Ces derniers s’opposent certainement avec raison. Les nuisances générées par les décharges sauvages ont servi de « vaccin » et c’est naturel que le « rejet » se fasse également pour les décharges contrôlées et/ou pour les autres projets - toujours suspects aux yeux des habitants - initiés par les autorités. Le wali a toutefois reconnu que l’opposition n’est pas un obstacle insurmontable et qu’un dialogue rassurant avec la population lève tous les malentendus. Si l’intérêt général venait à être mis en cause par des oppositions récalcitrantes, la force publique doit être sollicitée. L’on se rappelle les péripéties qu’a vécues le centre d’enfouissement technique de Tizi Ouzou. Quelques personnes à peine se sont opposées à ce projet et il est resté dans les tiroirs durant plusieurs années. La dégradation de l’environnement dans la région de Tizi Ouzou est une situation à risques sanitaire et social qui a fait réagir les élus locaux. L’Assemblée populaire de wilaya (APW) a organisé e 15 octobre 2008 une session extraordinaire consacrée à l’état de l’environnement dans son territoire. La sonnette d’alarme a été tirée par les différents intervenants, élus et responsables locaux. Des recommandations ont été faites, parmi elles, il faut noter entre autres la nécessité de mettre en place des schémas directeurs pour la gestion des déchets, de réaliser des centres d’enfouissement techniques, de développer des outils de communication et d’information à même de sensibiliser les différents partenaires, d’encourager les filières de tri et de valorisation des déchets d’emballage par la création de micro entreprises dans le cadre des dispositifs Ansej-CNAC-Anjem..., de redynamiser des activités de police de l’environnement et de l’urbanisme... Toutes ces recommandations relèvent des attributions de l’administration et des prérogatives de l’Etat. Faut-il souligner que notre wilaya est dotée de seulement trois centres d’enfouissement techniques et que ceux-ci ne sont pas encore totalement opérationnels ? Faut-il également souligner que l’agent de l’environnement mandaté par la direction de wilaya ne jouit toujours pas du statut d’officier de police judiciaire ? Situation, chacun le comprendra, qui démotive et entrave lourdement la mission de surveillance et si besoin de pénalisation. La situation de l’environnement dans la wilaya est « critique et alarmante », a déclaré publiquement le premier responsable de la wilaya et il est « urgent d’agir », a-t-il ajouté.

C’est pourquoi, il a demandé à ses collaborateurs, en charge de cette mission, de porter à la connaissance du ministère de tutelle les doléances des élus et responsables locaux. Un audit sur l’état de l’environnement dans la wilaya a ainsi été demandé. Une fiche technique évaluant son coût a accompagné cette demande. Les besoins immédiats de la région ont été également consignés dans des fiches techniques séparées. Quatre centres d’enfouissement techniques et une douzaine de décharges contrôlées sont nécessaires pour mener à bien l’opération d’amélioration de la qualité de notre cadre de vie et pour éloigner la menace sanitaire. Le coût est de 1,8 milliard de dinars. La sauvegarde de l’environnement et les préoccupations écologiques sont une autre ambition - qui existe, il faut le souligner, chez nos élus et responsables locaux - mais qui n’est pas encore d’actualité, notamment tant qu’une véritable politique nationale pour l’écologie et la sauvegarde de l’environnement n’est pas clairement manifestée par les pouvoirs publics. Il faudra donc ne pas y penser et la différer. Neuf stations d’épuration et cinq postes de relevage, en amont du bassin versant du barrage de Taksebt, sont également indispensables et doivent être rapidement édifiés pour protéger de la pollution, par les eaux usées, ce réservoir d’eau. Sept milliards de dinars doivent y être investis. Nous avons en mémoire la visite qu’a rendue à Tizi Ouzou, il y a plusieurs mois, le ministre de l’Hydraulique. Ces stations d’épuration avaient été évoquées en ce temps. Des promesses avaient été faites. Moins de dix milliards de dinars, quelques petits millions de dollars que le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et du Tourisme et celui de l’Hydraulique et des Ressources en eau n’ont pas pu inscrire dans le cadre de la loi de finances 2009 et arracher à l’Etat. La demande de la wilaya a en effet eu une fin de non recevoir malgré la claire signification de la gravité de la situation. Est-il raisonnable d’espérer obtenir ce budget sur la loi de finances 2010 ? Une promesse aurait été donnée... En ce qui nous concerne, nous avons - en tant qu’élu de la nation issu de cette région interpellé, au début du mois de septembre par écrit le chef du gouvernement sur cette question. Nous n’avons toujours pas eu de réponse. La préservation de l’environnement et le souci du bien-être du citoyen sont de la responsabilité de l’Etat et ne peuvent se passer de sa volonté affirmée de prendre en charge cette mission. Une véritable politique nationale pour l’environnement, et mettre la main à la poche, voilà les deux conditions indispensables pour faire aboutir une réelle et légitime préoccupation des citoyens et offrir aux générations futures un avenir assuré. De toute évidence, ce n’est pas pour le pouvoir central le souci du moment. En tout état de cause, un an est passé depuis que les élus et responsables de la wilaya de Tizi Ouzou ont tiré la sonnette d’alarme. Ils n’ont pas été entendus par les hautes instances de la République. Pendant ce temps, la région est toujours en immersion dans les ordures.

- L’auteur est : Psychiatre et député RCD

Par Dr Boudarène Mahmoud

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